ODD 14. Vie aquatique

J’ai équipé mes filets de pêche de balises satellite pour éviter la “pêche fantôme” en cas de perte

Pierre Moreira, Pêcheur, La Londe Les Maures, France

En tant que pêcheur, nous savons où nous mettons nos filets. Mais il peut arriver que de gros bateaux, ou des plaisanciers les entrainent ou coupent les pavillons. Pour éviter que nos filets se retrouvent au fond de la mer et continuent de tuer du poisson pendant des années, nous les équipons de balises satellites CLS pour les localiser et les récupérer.

Interview

Pierre Moreira, pêcheur
Image: Martina Cristofani

Je suis pêcheur professionnel depuis 32 ans, je suis arrivé à La Londe Les Maures pour faire la pêche en 2004. Avant cela j’ai fait la pêche pendant 18 ans à Marseille.

En tant que pêcheur, quand on met le matériel à la mer, on sait où le met, il y a aussi l’électronique qui nous aide quand on est loin des côtes, mais c’est notre métier donc on sait où on met nos engins de pêche.

Les problèmes surviennent quand il y a des bateaux extérieurs qui nous coupent les signaux. Pour rappel, un filet ou un palan se pose au fond de la mer. Il y aussi du matériel qui peut dériver entre deux eaux. Le matériel, lorsqu’il se pose au fond de la mer, est un “art dormant”, matérialisé à la surface par des bouées reliées par des cordes. Il y a une perche avec un pavillon et un bidon pour assurer la flottabilité. Les problèmes surviennent quand des bateaux extérieurs, soit des plaisanciers, soit des gros bateaux de commerce, des tankers ou des gros ferrys, coupent les pavillons. Lorsque le bateau passe dessus et que la corde et le signal sont broyés dans l’hélice, le bateau n’a pas de dommage mais, nous par contre, nous n’avons pas la possibilité de remonter le matériel de pêche et si jamais les deux pavillons étaient coupés, ce qui arrive en période de forte affluence touristique ou lorsque l’on est sur les routes des cargos ou quand un cargo se déroute du à des essais militaires, on perd les moyens de récupérer notre matériel.

Image: Benoit Delplanque

Il faut savoir que cela ne peut pas être dans l’intérêt du pêcheur de perdre son matériel. En général c’est du matériel que nous montons nous mêmes et qui est très cher. J’ai un budget de filets qui est à peu près de 6000 Euros par an. Je suis un pêcheur artisan donc on n’est pas sur un gros chiffre d’affaires, et c’est une grosse somme pour moi. Je fais très attention à l’endroit où je mets mon matériel et il est hors de question de le perdre.

Ce qui est très grave, c’est que les rares fois où l’on perd du matériel du à ces collisions entre des bateaux extérieurs et nos signaux, si le filet est perdu, il va continuer à pêcher pendant des années au fond de l’eau. C’est ce que l’on appelle la pêche fantôme

et cela c’est grave dans le sens où il y a du poisson qui va se prendre dans un filet qui ne sera plus jamais remonté, et qui va mourir dans le filet pour rien, et donc cela peut tuer du poisson pendant des années, jusqu’au moment où le filet avec le temps va s’affaisser et recouvrir des roches en empêchant une certaine vie de proliférer. Il faut donc a tout prix récupérer ces filets.

Lorsque l’on a une perte de filets, on a développé des techniques pour arriver à les récupérer. On jette des espèces d’ancres ou de grapins sur la trajectoire où on a lancé le filet pour essayer de le récupérer même si on l’abime avec notre ancre, le but est que le filet ne reste pas au fond de la mer et qu’il ne continue pas à tuer du poisson pour rien.

Pierre Moreira tenant la balise satellite pour ses filets connectés.
Image: Martina Cristofani
Image: Martina Cristofani

Malheureusement desfois cela n’est pas possible, car la corde s’enroule autour de l’hélice du gros bateau, qui va le trainer au fond de la mer sur des centaines de mètres. On peut donc chercher notre filet à un endroit où il n’est plus. On peut parler de pollution plastique à cause du filet mais on peut parler surtout de “pêche fantôme”.

Mais il y a aussi d’autres aspects de ce partenariat: L’association LRS, Les Ressources Marines comprennent des pêcheurs professionnels, des plongeurs de grande profondeur (des plongeurs coralliens qui vont à 150 mètres) et des gens qui ont créé des drones sous-marins, des ROV.

C’est pour cela que l’on a fait un partenariat entre mon comité des pêches du Var et la société CLS, qui produit ses balises. Le but est de créer le bon produit qui ne va pas être très cher et lui permettre de retrouver à coup sûr ses filets.

Dans la première phase, le pêcheur professionnel équipe son filet avec les balises satellites créées par CLS. Ces balises sont améliorées au fur et à mesure de nos essais en mer, qui ont lieu depuis maintenant un an et demi. Dans la deuxième phase, CLS a inventé aussi des balises qui vont être sous la surface de l’eau au maximum à 60m de profondeur et qui permettent si le signal est coupé, de libérer un flotteur sur commande du pêcheur grâce à un signal sonore. Cela peut être une alternative intéressante si le bateau n’a coupé que le pavillon. Le troisième phase, c’est si le bateau a arraché toutes les cordes et les balises et à ce moment là, c’est l’association LRS qui vient sur place avec un ROV. Ils vont quadriller la zone avec le robot sous-marin. Le robot sous-marin va baliser le filet même s’il a été tracté sur des kilomètres, et surtout va sortir le filet des roches et le pêcheur va récupérer son matériel.

Ce sera une très bonne innnovation. On peut rêver dans un futur proche avec les moyens techniques, que vu que nos filets seront connectés, si on arrive à développer ce projet, le patron du cargo, du ferry ou du porte container, il ait lui aussi une application dans sa passerelle, et quand il s’approche des côtes, qu’il y ait une alerte lumineuse à l’endroit où il y a des filets, et qu’il se déroute avec une obligation légale pour arrêter de couper des filets.

La pêche est un des plus vieux métiers du monde, et c’est vraiment un métier où on travaille immergé dans le milieu, c’est à dire que l’on est vraiment dans le laboratoire naturel, en pleine nature. C’est un métier magique parce qu’il est toujours renouvelé. Même le pêcheur qui a cent ans d’expérience si cela existait, il serait encore surpris. La mer, c’est toujours changeant. Un lever de soleil n’est jamais le même que celui de la veille, on est toujours dans la beauté de la nature. Il y a des images magnifiques, on a des surprises, on a des cadeaux en permanence et c’est un métier où on est toujours obligé de se remettre en question.

Il ne faut pas être esclave de la technologie, il faut s’en servir à bon escient. Et il ne faut surtout pas perdre de vue, que l’essentiel dans notre vie c’est la nature, que l’homme n’est pas le dominant de la nature, c’est juste un élément de la nature et si on continue à tuer la nature comme on est entrain de le faire à l’heure actuelle, il n’y aura plus d’humanité du tout.

Galerie

Pierre Moreira tenant la balise satellite pour ses filets connectés.
Pierre Moreira tenant la balise satellite pour ses filets connectés.
Pierre Moreira tenant la balise satellite pour ses filets connectés. Image: Martina Cristofani
Image: Martina Cristofani

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